mercredi 30 juillet 2014

Terrain vague


"Au travers d’un dessin recouvrant les murs de l’espace d’exposition, Terrain vague met en scène une ville en constant renouvellement dont les formes s’inspirent entre autres, de Villeneuve d’Ascq, de Lille ou de Bruxelles."


En septembre 2014, le collectif d'artiste Labelle Production proposait une exposition-installation Terrain vague à la Ferme d'en Haut de Villeneuve d'Ascq.

Les membres du collectifs, Alix Leroux, Ismaël Maudet, Florent Grouazel, Younn Locard, Anastasia Parrotto, Sarah Cheveau, Jérémie Gallegos, Antoine Mathurin et Clément Thiry ont imaginé une installation autour du dessin, de la narration et de la ville.

 
Dans le cadre de cette exposition, présentée durant trois mois jusqu'en décembre 2014 à Villeneuve d'Ascq et à nouveau à Bruxelles du 12 septembre au 21
septembre, j'ai écrit un texte accompagnant le projet, une histoire sur cette ville en mouvement.
Ci-dessous en version intégrale.


©Labelle prod





Les Mystères de Villeneuve-d’Ascq

***
La ville miroir


Impossible de croire à une coïncidence.
La ville existait. Cette autre ville existait. Les photos, la vidéo et le témoignage, pénible, de l’homme assis à son bureau ne laissaient aucune place à l’hésitation, songea Grégory. Il attrapa une lourde loupe dans un tiroir et examina de plus près les photographies qui représentaient les quartiers sud. Son quartier.

Grégory repoussa les stores, ouvrit la fenêtre et scruta l’horizon. Les bâtiments, les routes, les parkings, les arbres : cette image collait trop à la réalité. Peut-être bien l’un de ces chefs d’œuvre de la manipulation de clichés et du traficotage sur ordinateur, mais non. Son intuition lui hurlait que ces instantanés irradiaient le vrai. Sans parler des personnes qui arpentaient les rues sur le papier glacé. Tous asiatiques.

- Vous me croyez maintenant, couina une voix derrière lui, je peux vous fournir d’autres preuves.
Grégory l’avait presque oublié celui-là. Engoncé dans son anorak sale, avec le regard d’un homme perdu en mer, ses doigts trahissaient un malaise tenace. L’étranger lui semblait familier, il déroula une nouvelle série de clichés sur son smartphone et donna à Grégory d’autres détails sur cette ville. « Oiseau de malheur, en voulant bien faire, ce type vient de bousiller ma santé mentale à tout jamais. Comment envisager de dormir pénard avec une autre Villeneuve-d’Ascq sortie de terre à trois cents kilomètres de Shanghai », hurla intérieurement Grégory. Il retint l’envie stupide de décrocher le téléphone pour appeler la gendarmerie, le ministère des Affaires étrangères ou les services secrets. « On trouve leur numéro sur les pages jaunes pour les cas d’urgence ? Autant appeler l’asile directement.»

Il refusa la proposition de l’inconnu, pas question de partir enquêter sans réfléchir. Et puis ce n’était pas à lui de récupérer le sale boulot, le gars devrait comprendre. Grégory le poussa dehors. Un peu trop violemment mais le besoin de se mesurer à quelque chose de physique était réel.
Il descendit au cadastre. Vol des plans, espionnage industriel… les explications logiques ne devraient pas manquer dans ce genre d’affaires. Il se remémora une discussion à propos de ces villes copiées à l’identique pour satisfaire les caprices de la bourgeoisie locale ou en vue d’entrainer des agents à se comporter comme des occidentaux à des fins d’infiltration. Clichés de la guerre froide, anecdotes pour sites internet. En fouillant il ne trouvait aucune preuve ou information, rien. Le collègue qui se tenait là lui assura qu’aucun plan n’était sorti des archives depuis des années et que personne n’avait eu vent d’un tel projet absurde. Il bredouilla une excuse à propos du reste des documents dans son bureau et s’éclipsa.
Sous la porte attendait un mot, barbouillé sur un ticket de carte bleue : Je peux vous emmener là-bas. Impossible de poser des congés à l’arrache fut la première pensée qui lui vint.


Évitant le métro, sur le chemin du retour, il ne pouvait s’empêcher d’observer la tragique banalité de la rue. La foule anonyme examinait ses pieds, au milieu de voitures pressées, insignifiantes, et du bruit régulier de l’agglomération. Les mêmes visages indifférents, les mêmes fenêtres neutres, les mêmes sons invariables. La ville. Familière et impersonnelle.
L’habitude le poussa jusqu’à l’intérieur de la boulangerie où il attrapa une baguette et un journal. Il régla, croqua le quignon et cala ses pensées sur le mouvement mécanique, mou et rassurant de ses mâchoires sur la pâte blafarde. Mastiquer lui fit perdre, un instant, l’irréalité de cette journée. Ralentissant, il ouvrit le canard et détailla les articles régionaux en attaquant l’escalier de son immeuble. Il sortit les clefs en cherchant la rubrique des faits divers et poussa la lourde porte renforcée. En entrant dans son appartement, il se prit une paire de jambes en pleine tête.

- Tu ne peux pas t’en empêcher, grogna la jeune femme en se redressant, regarde où tu vas.
Avec le calme d’un curé en goguette, Grégory ramassa ses clefs et la baguette avant de se retourner vers elle et l’embrasser.
- Qu’est-ce que c’est cette fois, yoga ? Taï Chi ?
Clara ne semblait pas relever la note ironique et se remit en position. Il en profita pour se laisser tomber dans le canapé et se mit à l’aise.
- Qi gong. Et tu devrais tester, tu me parais exténué. De l’exercice t’aérerait l’esprit à mon avis.
- Tu sais bien que…
- Oui les échecs, le coupa-t-elle, je m’en rappelle bien. Mais ce n’est toujours pas un sport.

-Et, tu rentres bien tard aujourd’hui, insista-t-elle.
Une chaussure encore à la main, il détaillait son entrevue avec l’inconnu et ses théories sur l’autre Villeneuve d’Ascq. Un silence s’installa entre eux, jusqu’à ce qu’elle le pousse à prendre un congé, à partir là-bas :
- Peut être la décision la plus absurde et passionnante de ta vie.
- En plein milieu de semaine ?
- Dégage avant que je ne change d’avis, et que tu passes tout ce week-end à t’occuper de cette foutue cuisine en kit qui t’attend sagement dans un carton chez mes parents, répliqua-t-elle en lui envoyant un doigt dans les côtes.

« La ville miroir n’a qu’à bien se tenir » grondait-il devant le site de réservation. Il sélectionna un vol pour Beijing le surlendemain.

***

« C’est important. » À court d’arguments, il avait répété cette phrase trois ou quatre fois devant sa patronne désorientée et incrédule. Incapable de faire face au mutisme de cette dernière, il parlait sans interruption. Racontant dans le désordre la visite de l’homme, la ville miroir et la nécessité arbitraire d’en avoir le cœur net en attrapant le premier vol pour la République populaire de Chine. Profitant de son trouble, il prit le haussement d’épaules du chef de service pour un assentiment et quitta la pièce en trombe, la laissant à ses spéculations. Passant devant le bureau de ses collègues, il composa un mot d’excuse laconique et rédigea une série d’instructions pour pallier son absence.

Dans un sac, il fourra toutes ses affaires sans parvenir à remettre la main sur le ticket de carte bleue avec le numéro de téléphone de l’homme de la veille. Qu’importe, il possédait des photos, ses notes et un plan pour s’orienter ; il verrouilla la pièce et prit un taxi pour l’aéroport de Lille – Lesquin.
À la cinquième sonnerie, Clara ne répondait toujours pas, il laissa un message assez mièvre pour que le chauffeur lance un coup d’œil amusé dans le rétroviseur. Un peu de distance rendrait les retrouvailles plus piquantes, et après cet encouragement spontané, peut-être qu’il réviserait son jugement quant à l’idée d’habiter ensemble cette année. Il s’enfonça dans la banquette et observa la zone industrielle qui défilait par la fenêtre. Le trajet, rapide, fut suivi d’une courte attente au guichet. Grégory récupéra son billet prépayé sur internet et déposa ses bagages au comptoir. Deux bonnes heures avant l’embarquement, il se dirigea vers le kiosque et commença à feuilleter les journaux.

Les râles et le mécontentement d’un groupe de Danois, ou de Hollandais, près de lui le tirèrent de sa lecture. Il s’intéressa à l’écran que la bande d’hommes d’affaires fixait et commentait avec animosité. Gros retards.
Son regard détailla rapidement les lignes qui clignotaient VOL FR637 SHANGAI 18H35 RETARD 03H00. Pour passer le temps, il se paya un sandwich avec un café. Aux alentours de 19h le vol fût annoncé comme définitivement reporté, en raison d’une grève des contrôleurs ou d’un incident, il ne trouva pas la confirmation. La compagnie proposait une prise en charge à l’hôtel, mais Grégory préféra rentrer.
Il tenta plusieurs fois de joindre Clara, en vain. « Bon, une chance sur deux pour qu’elle soit de fiesta chez Aurore à Bruxelles » raisonnait-il en achetant un ticket de métro.

***

Le lendemain, levé de bonne heure, il se recoucha. L’aéroport demeurait toujours bloqué. Il songea un instant à partir de Paris ou Bruxelles, mais abandonna cette idée, vaincu par l’angoisse de ne faire que déplacer la déception. Non, il allait profiter de ce délai accidentel pour prendre du recul, se reposer et reprendre des forces. Habité par la faim de l’homme préoccupé, il s’habilla et descendit chercher de quoi grignoter. Fermés. La boulangerie, le tabac et même le kebab qu’il fréquentait plus jeune. Sans raison.
À quelques mois des congés estivaux, cette fermeture impromptue l’obligea à pousser plus loin pour manger quelque chose de chaud. Après une vingtaine de mètres, il s’arrêta. Quelque chose n’allait pas, ou n’allait plus. Grégory prit le temps de s’assoir sur un banc et regarda autour de lui avec attention : le décor renfermait bien quelque chose de différent.
Il acheta un plat préparé et une canette et rentra chercher ses albums photo. Il les éplucha un par un, guettant les instantanés qui auraient été pris en ville ou du balcon. Au fil des pages, les années défilaient sous ces yeux, voyages scolaires, portraits de classe, premiers essais composés de paysages mal cadrés et de ses jouets préférés, clichés pleins d’amis, d’anciens amours, de mariages ou de fêtes. Il passa à la vitesse supérieure piochant les tirages en vrac, arrachant les élastiques et brisant les boites, il ne se donnait plus la peine de les ranger et jetait celles qui étaient vues derrière lui. Il se faisait l’effet d’un cambrioleur, d’un voyeur de sa propre vie en papier brillant. Photos de vacances, de beuveries, de réunions de famille. Mais bordel de merde. Portraits des petites nièces, photos des parents en grands-parents, photos de…ahhh. Il éjecta le reste du carton qui éclata sur le mur.
Des centaines de clichés et rien, aucune route, aucun bâtiment. En même temps quel crétin prendrait en photo les rues et les ferait développer. Il passa sur le PC.

Le disque dur de son ordinateur ne lui avait pas donné satisfaction non plus, plusieurs giga-octets de souvenirs démunis de paysages urbains. Absorbé dans sa quête, il vivait devant Google Maps depuis plusieurs jours et comparait les artères de la cité prises avec son nouvel appareil numérique et le logiciel de cartographie. Négligeant son billet d’avion, son voyage et ses obligations quotidiennes, il passait des heures à patrouiller dans les rues, mitraillant les façades et les avenues à grands coups d’autofocus. Souvent, il rentrait tard et prolongeait ses déambulations jusqu’au petit matin ; s’autorisant parfois a se payer une chambre d’hôtel afin de boucler son parcours. Son portable débordait d’appels manqués, de messages sur répondeur et de mails, il ne relevait même plus les mots posés sur la table de la cuisine que lui laissait Clara, désespérant de ne plus recevoir de nouvelles. Il ne se sentait pas la force de l’appeler. Son appartement en désordre ne servait plus que de solution de repli entre deux missions de reconnaissance, plus personne ne vivait là. Il évitait de passer devant la mairie au cas où l’un de ces collègues le reconnaitrait ; ou plus exactement comme ce soir s’y glissait de nuit, car le quartier méritait d’être examiné.
Une lumière au sixième étage d’un immeuble attira son regard, il consulta sa montre. Quatre heures onze. « Un peu trop tard pour être honnête » ricanait Grégory en se faufilant dans cette direction. La surprise le tétanisa quand il arriva à la hauteur du bâtiment : il ne s’agissait pas d’un néon dans un bureau, mais le reflet puissant d’une pagode illuminée.

***

L’édifice imposant rayonnait dans la nuit claire. Deux des cinq étages se détachaient dans le ciel nocturne, extrayant l’immeuble de son environnement. Avec son allure moderne et ses parties en briques et acier, pas sûr que Grégory l’aurait remarqué en pleine journée. D’ailleurs il ne l’avait jamais repéré, rectifia-t-il pour lui même. Il s’approcha et toucha le mur face à lui, le bois et la terre cuite suintait l’humidité. Les doigts constellés de cette rosée matinale lui firent du bien quand il les passa sur son visage.
Après plusieurs tours du pâté de maisons, le jour donnait des signes de vie au loin et avec lui les hordes de travailleurs en quête d’un bus, d’un métro ou d’un café brûlant. Grégory tenta de partager sa découverte avec d’autres personnes, mais sans succès. Pire, les gens l’évitaient, redoutant l’épreuve d’impliquer un mendiant supplémentaire dans leurs soucis quotidiens. Deux-trois échecs plus tard, son regard croisa son reflet dans une vitre et ce qu’il vit lui fit peur. Tout absorbé dans sa quête, l’apparence et la propreté ne passaient plus dans le registre de ses priorités. Dans son état, personne ne l’écouterait ou ne lui répondrait.
Poussé par l’excitation, Grégory prit la décision d’entrer dans le bâtiment.

***

Vu de l’intérieur, le monde extérieur apparaissait lointain. L’encadrement de la porte, une fois le battant refermé, laissa la place à un vestibule imposant. Du plafond marqueté pendait toute une série de cloisons épaisses et immaculées qui retenait, avec force, un plancher fatigué. Plus loin -dans l’ordre- les couloirs, les murs, les portes closes et les escaliers défilaient dans une configuration qui n’appartenait qu’au lieu et n’attendaient personne en particulier.
Autour de Grégory s’activait un vide bruyant et obsédant qui le poussa à se mettre en route sans trop tarder. Pas après pas, la pagode immuable dépistait un Grégory perdu et anxieux. Non sans calcul, l’euphorie de la découverte avait revendu sa place à l’angoisse. Fière de sa différence, s’inscrivant en creux des constructions classiques, la mystérieuse bâtisse lui déroulait un labyrinthe limpide ; avec naïveté, chaque fenêtre lui offrait de l’orienter par rapport à la rue et la plupart des marches lui indiquaient les étages.


Ce n’est que quelques heures plus tard que le sol sévère et frais l’accueillit. Le corridor qui le dévisageait allait avoir raison de lui. La patience n’a pas que des amis. Et les heures tombaient comme le jour et la nuit.
Au bout de plusieurs jours, la soif pousserait n’importe quel homme aux pires sacrifices ; la faim, quant à elle, ne resterait jamais qu’une douleur sourde et apprivoisée. Les jours passeront avant qu’elle devienne un problème. Boire, manger, respirer, … la folie ne chasse que sur les territoires du quotidien.
Marcher et ne plus penser apparaissait comme la fuite la plus évidente. Se recroqueviller dans un coin et crier, la plus maline. Il rusa.
Seul le silence répondit.


- Eh merde. Des quartiers, des bâtiments, des maisons et des rues. Des couloirs, des murs, des portes et des escaliers. Si confus et limpide. J’aimerais avoir le courage de me mettre des baffes. De vraies bonnes grosses claques.
Accompagné par un craquement ses genoux le hissèrent au niveau de ceux qui marchent debout. Solution en main, sa tête l’escorta dans la direction qui devait proposer la sortie. La grande porte du fond reçut un Grégory épuisé et pressé d’ouvrir les deux battants d’un coup sec.
L’air frais du matin lui fouetta le visage au milieu de la cité bruyante.

***
           
            Libre de ses mouvements et aveuglé par le soleil rasant, Gregory prit le chemin de la maison. Malgré sa compréhension nouvelle du labyrinthe, la présence de la pagode demeurait obscure. Une telle structure ne pouvait rester anonyme, ignorée et isolée dans notre société.
Au bout de plusieurs mètres, il s’arrêta dans une supérette et acheta une bouteille d’eau et une tablette de chocolat. Il régla et déboucha la cannette devant la boutique. Buvant, s’aspergeant et poussant des grognements de plaisir Gregory constituait le centre de l’attention de la rue animée. Sans plus de manières il ouvrir le paquet et croqua dans le cacao pâteux, n’accordant qu’un bref regard à son auditoire. Chinois.
L’information mit un temps à pénétrer son cerveau, les hommes et femmes qui l’entouraient semblaient tous Chinois. Son dos le démangeait, comme si la sueur de son corps circulait maintenant sous sa peau brulante. Le cauchemar empirait. Statue ridicule, ses muscles vibrèrent quand une main pleine de pièces s’agita devant lui, il recula. Un Asiatique d’une quarantaine d’années lui déposa dans les mains une poignée d’euros en s’excusant. Plus personne n’ouvrait la bouche à l’exception d’un jeune garçon qui s’adressa à sa mère en mandarin.

Il lui fallut plusieurs minutes pour comprendre que le commerçant n’acceptait pas cette monnaie, il sortit sa carte de crédit, fît de grands gestes et indiqua, en anglais, qu’il allait régler avec. À la caisse, il attrapa une paire de lunettes de soleil et une casquette avant de quitter le magasin. Et, sans un regard pour le reste de l’attroupement qui attendait, il s’éloigna, se fondant dans la file ininterrompue des passants.

***

Grégory prit plusieurs photos des lieux et des gens ainsi qu’une petite vidéo de la banalité étrangère qu’il apercevait, avec son téléphone. Il fallait au moins ça pour qu’on ne l’expédie pas direct à l’hosto.
Courir vers la pagode. Cet immeuble constituait la clef, un portail entre les deux villes. Aussi mystérieux que cela puisse paraître quelque chose liait les deux endroits passant au-dessus –ou au-dessous- des lois de la physique. Huit mille kilomètres séparaient les deux pays. Habituellement. Arrivé devant la porte, il entra sans hésiter et effectua le chemin en sens inverse. Pas question de se perdre, il se guida sans problème dans le dédale familier et se retrouva de l’autre côté du bâtiment. Après un dernier regard en arrière, il sortit dans la ville. Sa ville.
De joie, il effrayait les piétons et provoquait le courroux des automobilistes qui ne supportait pas qu’il traverse au milieu des voies sans prévenir. Il se réappropriait ses repères avec la facilité d’un enfant qui retrouve sa chambre après les vacances. L’agglomération brillait, merveilleuse et unique. Il courait jusqu’à chez lui, haletant et transpirant sous le soleil de midi, grimpa les marches de l’immeuble à toute allure et resta bloqué à la porte. Pas de clefs. Il retourna les poches de ses vêtements sales, mais n’en trouva trace. Peu importe, il en avait un trousseau dans le tiroir de son bureau.
            Il fonça, la chance ne l’abandonnera pas.

Hirsute, sale, personne ne le reconnut dans le hall de la mairie. « Une aubaine pour ne pas avoir à s’expliquer » articulait-il en empruntant les escaliers plutôt que l’ascenseur. Plus discret. Sur le palier du troisième étage, il rejoignit la petite pièce en quelques pas. Un inconnu était assis à sa place, sur sa chaise. Sans hésiter, Grégory s’avança devant l’autre.

Impossible de croire à une coïncidence.
La ville existait. Cette autre ville existait. Les photos, la vidéo et l’incrédulité, pénible, de l’homme assis à son bureau ne laissaient aucune place à l’hésitation, songea Grégory. L’homme attrapa une lourde loupe dans un tiroir et examina de plus près les photographies qui représentaient les quartiers sud. Son quartier.



 

Les Mystères de Villeneuve-d’Ascq
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La ville miroir

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