samedi 9 avril 2016

Sortie du numéro 8 des Cahiers européens de l'imaginaire : la rue

Steppes d’asphalte, une nouvelle à lire sur Tchernobyl et les bêtes -humaines ou non- qui y rodent dans cette revue transversale éditée par le CNRS.

Mais aussi : Cartographie des rues mondiales de Batman aux occupations politiques, en passant par la sociologie des sans-abris, l'urbain vu par Pasolini, du street-art aux argots. Articles, fictions, BD, photographies, la rue en long en large et surtout en travers.



Steppes d’asphalte (extrait)

Le long de bandes de terre retournées la piste des sangliers cloisonnait la forêt ce matin. Les pièges étaient vides, le vent avait chassé les feuilles qui les dissimulaient. Chaque printemps on repassait aux fusils et cette année, j’aurais enfin le droit d’y toucher. Léo fait la gueule parce qu’il va devoir attendre encore une saison avant de pouvoir tirer. J’essaie de ramasser quelques fruits mais le jacassement des pies devient insupportable. Je cherche une pierre à leur lancer mais je ne trouve que des débris de verre. Un lampadaire avait servi de gratte-dos à un ours, la dernière fois c’était un abribus, à croire que cette forêt qui recouvrait tout n’était pas assez grande. Je continue avant l’arrivée des étrangers. Une fois le soleil haut, leurs autocars encercleront la ville, s’appropriant les rues en lâchant leurs troupeaux de casquettes-caméras. Et les vieux avaient une règle simple : personne ne bouge, pas avant que les bus résonnent au loin sur la nationale. Mais d’autres visiteurs, plus dangereux, ne faisaient pas de bruit. Une jeep était garée devant l’ancien hôpital. Les militaires ne se contentaient pas de voler gibier et récoltes, on comptait plusieurs familles enlevées ou tuées. Un soldat discutait avec Léo, je reconnus sa voix avant de l’apercevoir. Je m’approche, camouflée par la masse de buissons et d’arbres qui avaient poussé au milieu de la rue. Le militaire lui tend une cigarette, Léo hésite. Gêné, il évite de regarder son interlocuteur et ses yeux glissent sur moi, l’habitude de nos parties de chasse lui révèle ma cachette. Il ne dit rien, attrape la cigarette et la met à la bouche. Il propose son briquet à Léo qui essaye de fumer à la manière des soldats russes, en tenant sa cigarette comme un stylo. L’homme ricane. Je le reconnais : Vadim, un trafiquant qui rend des services jusqu’à ce qu’il ait besoin de vous et là, vous regrettez de ne pas avoir vendu votre âme au diable. Vadim sourit, le traite de puceau avant de sortir son arme et de faire claquer le canon en un aller-retour violent. Pour la première fois, je vis le visage de Léonid sans son sourire idiot. Vas-y petit. Crosse pointée sur lui il transpire, vieillit. Il a encore sa cigarette à la main mais ses yeux tiennent déjà le pistolet. Vadim donne un coup de pied dans le pneu de la jeep Prends-le. Il ne riait plus, prouve que tu es un homme et on pourra faire affaire. Fasciné, Léo attrape l’arme. Elle était lourde, il faillit la laisser tomber. Vadim dit qu’il fallait choisir une bonne cible pour une première fois. Pour ne plus être devstvennitsa. Il désigne une souche d’arbre juste à côté de moi. Je ne bouge pas et ne fais aucun bruit, impossible qu’il m’ait vue. Pourtant, j’ai l’impression que cette cible n’était pas choisie au hasard. 
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